Yom Hashoah

Nathalie Ohana
2 min readMay 9, 2022

Je n’écris jamais de manière préméditée. J’écris sous le coup d’une humeur, d’une photo.

De cette photo.

Hier soir, en Israël, on a écouté les histoires des survivants de la Shoah sur toutes les ondes du pays. Aujourd’hui est un jour de deuil, les magasins sont fermés, le pays est à l’arrêt. A 10 heures ce matin retentira la sirène. Dans toutes les écoles du pays se tiennent des cérémonies du souvenir.

A l’âge de douze ans, l’allemand est devenu ma première langue étrangère. Moi, l’enfant de parents nés en Afrique du Nord, à qui on ne voulait rien raconter des grands drames de l’histoire, j’ai plongé dans ce bain là. Peut être pour les défier. Derrière le silence de mes parents sur la Shoah, j’ai voulu explorer seule. Ma lanterne pour comprendre l’incompréhensible était l’allemand, l’apprendre était au début un jeu, c’est devenu une addiction. Plus cette langue m’était difficile, inaccessible, plus je voulais la maîtriser. Elle était comme la matière qui résiste à la forme que le sculpteur veut lui donner. Grâce à elle, je suis entrée dans l’Histoire en version originale, je voulais aller à l’essentiel, sans intermédiaire.

Un jour de septembre, je me suis retrouvée sur les bancs de la fac en licence d’allemand. Poliment, je me suis levée en me disant qu’une fois de plus, je poussais le bouchon trop loin. Mais cette langue ne m’a jamais quittée. Elle m’a permis de travailler, de voyager, de vivre à Berlin et même d’aimer la philosophie. Elle est devenue l’étranger qui vit en moi. Elle était la part bizarre et excentrique qui faisait froncer les sourcils de ma mère quand elle m’entendait la parler. Elle permettait à mon côté rigide et précis de s’exprimer. Elle m’a donné le goût de la littérature viennoise et m’a permis de continuer de vivre dans “le monde d’hier”.

Aujourd’hui, je crois pouvoir mettre des mots sur cet attrait. Je crois que très jeune, j’ai voulu m’approcher au plus près du mal. Comme celui qui s’approche le plus au bord du précipice pour regarder l’ampleur du danger. Pendant mes années étudiantes à Berlin, je me suis aventurée dans des chemins parfois périlleux, j’ai interrogé, j’ai voulu savoir ce que l’homme de la rue pensait de tout ça. J’ai pris le risque d’entendre des choses que je n’aurais jamais voulu savoir.

Je réalise aujourd’hui que depuis des années, je tiens Yom Hashoah à distance. A force de m’être trop approchée du gouffre, je ressens à présent le besoin de me protéger.

L’hébreu a peu à peu effacé l’allemand dans mon cerveau. Comme s’il n’y avait pas de place pour les deux, comme s’il fallait choisir. Avec le temps, elles cohabiteront en moi, comme cohabitent en harmonie toutes mes dualités, tous mes paradoxes.

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Nathalie Ohana

J’habite en Israel, mère de 3 enfants, j’aime raconter des histoires et suivre les parcours de vie à travers mon programme www.haimrabim.com