Humanité Collective

Nathalie Ohana
4 min readMar 24, 2022

Du plus loin que je me souvienne, enfant je rêvais d’être comédienne. Je voulais vivre d’autres vies. Je voulais du tragique, du comique, de l’absurde même. De la couleur, du bruit, des effusions, des vibrations, pourvu que ça sonne fort.

Le cinéma est devenu mon maître. Chaque film était comme un manuel de préparation à la vraie vie. Chaque réalisateur est devenu comme un parrain. A défaut de pouvoir injecter de la folie dans ma vie, j’entrais comme par effraction dans la vie de leurs personnages de papier. Ces moments d’extase continuaient de perdurer même quand le générique de fin apparaissait à l’écran. J’étais physiquement assise sur les strapontins rouges. Mais mon âme était, elle, partie en voyage.

Et puis, j’ai compris.

J’ai compris que personne ne viendrait m’offrir de grand rôle. J’ai compris que cette idée d’attendre qu’un sauveur vienne m’extirper de ma réalité était puérile. Que je pourrais passer une vie à attendre et à vivre à travers eux, par procuration. Et que j’étais la seule responsable du scénario de ma réalité.

Et peu à peu, ma vie est devenue intéressante. Je jouais le rôle que je m’étais écrit moi-même. Je ne dépendais d’aucun metteur en scène lunatique. Tout doucement, j’ai cessé de vouloir vivre d’autres vies que la mienne. La fiction était divertissante mais j’étais en train de devenir accro à ma réalité. Je n’avais plus rien à fuir, j’avais tout à construire.

Encouragée par des anges qui se reconnaîtront, j’ai commencé à m’émouvoir de toutes les personnes qui voulaient, elles aussi, faire de leur vie une œuvre. Ces personnes avaient souvent joué un texte qu’on avait écrit pour elles. Parfois même avant leur naissance. Et tout doucement, elles reprenaient le script en main. Et moi, j’étais aux premières loges, témoin d’un spectacle unique. Quel privilège…

Depuis quelques mois, je suis à nouveau visitée par ces sensations de mon enfance. Ma fenêtre sur la vie est en train de devenir toute petite. La réalité a perdu de sa superbe. Elle est rythmée des mêmes rengaines et des mêmes peurs. Je sens que tout est prévisible, dans les mouvements comme dans les discours. Je cherche des surprises, des rebondissements, des coups d’éclat mais tout est verrouillé, congelé.

Pire, j’ai l’impression que la réalité est devenue une fiction, une “science-fiction” grandeur nature et à l’échelle planétaire. Personne ne nous l’a dit officiellement, mais nous avons tous été embauchés, à l’insu de notre plein gré, en tant qu’acteurs d’une superproduction de mauvaise qualité. Le scénariste ayant été choisi en dernière minute, nos textes sont limités et nos répliques répétitives. Il n’y a aucune subtilité, aucun suspens. Les acteurs surjouent la peur qui est omniprésente. Mais les personnages n’étant pas bien dessinés, le film patine. Les costumes sont sommaires avec un masque de couleur pour chaque acteur. Et comble du cynisme, les enfants sont aussi embarqués dans ce film grandeur nature. Oui la production avait prétexté que comme beaucoup de personnes seront enfermées pour cause de repos forcé, il fallait les enfants en renfort.

Voilà je ne vous raconte pas la fin car le film est sorti en avant première en Israël et il arrivera très prochainement en Europe.

Ni les costumes, ni l’intrigue, ni même le jeu des acteurs ne resteront dans la postérité. Il parait qu’il y a un navet de la sorte tous les siècles.

Je crois donc que pour ma santé mentale, et à défaut de pouvoir physiquement me déplacer, je vais partir vers des destinations enchantées et lointaines. Là-bas, peut-être, dans les bras de personnages de papier, je vais me remettre à respirer.

Puisque la réalité actuelle dépasse la fiction, alors ma fiction sera plus vraie que nature.

Mes personnages de papier auront une liberté de mouvement et de pensée. Des personnages qui sont peu prévisibles, qui sont nuancés et envahis par des doutes. Des personnages qui dominent leurs peurs et font toujours triompher l’amitié et le partage. Qui ne seront pas dupes quand on leur promettra monts et merveilles et qui se révolteront s’il le faut. Dans ma fiction, il n’y aura ni masque ni bracelet de couleur ou électrique. Il y aura des visages, des beaux visages et des sourires surtout. Les enfants seront occupés à des jeux d’enfants et ne seront pas mêlés à ces histoires d’adultes. Et je ferai de mon mieux, je vous le promets, pour qu’il y ait du suspens. Mon histoire donnera à réfléchir et on invitera des amis à boire des bières pour parler de la fin qui étonne. Mes personnages seront plus vivants que des personnages de chair. Ils seront une ode à la vie dans ce qu’elle a de plus beau, de plus noble.

Car le vrai confinement n’est pas celui que l’on croit. Le vrai confinement n’est pas d’être enfermé chez soi. Le vrai confinement est mental. Il est celui qui nous isole et nous classe en catégories. Celui qui persécute ceux qui veulent choisir et crée des distances abyssales avec ceux que nous aimons. Celui qui nous dresse les uns contre les autres et crée des citoyens de seconde zone.

Quand nous sortirons de ce confinement mental,

Quand nous ne serons plus anesthésiés de l’âme,

Quand nous ne serons plus guidés par la peur et le jugement,

Alors, mieux que l’immunité, nous atteindrons cette fameuse l’humanité collective.

Voilà, je vous ai tout dit. Je retourne à mes stylos et mon cahier, et à mon scénario, en attendant de le vivre avec vous.

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Nathalie Ohana

J’habite en Israel, mère de 3 enfants, j’aime raconter des histoires et suivre les parcours de vie à travers mon programme www.haimrabim.com