Elle venait d’arriver à Raanana….

Nathalie Ohana
3 min readOct 8, 2022

Pendue à ses lèvres, j’attendais, fébrile, qu’elle me raconte la ville où j’habitais depuis sept ans.
Raconte moi, lui demandais je, impatiente, oui raconte moi là où je vis, raconte moi ce que tu vois et que je ne vois plus, que je ne sens plus, je t’en prie, raconte.

Raconte moi ma ville comme si je n’y habitais pas, comme si je vivais à l’autre bout du monde.

Sarah, de son sourire complice, accepta de jouer le jeu de raconter les couleurs de l’arc-en-ciel à quelqu’un qui n’est pas malvoyant.

C’était shabbath mais nous savions qu’à nous deux, nous avions le pouvoir d’allumer un feu de joie. Oui nous deux, parce que c’était comme ça entre elle et moi, parce que ce feu avait toujours eu besoin de très peu de brindilles pour prendre vraiment.

A chaque cuillerée de pommes de terre qu’elle me servait dans l’assiette, elle racontait. Le mouvement de la cuillère vers l’assiette ressemblait à son balancier intérieur entre le récit et les ressentis. La cuillère en l’air, Sarah cherchait en elle.
Ses mots tombaient tous dans ma bouche et je ne trouvais plus d’autre appétit que celui de me nourrir de son histoire.

Raanana…. soupirait elle, le regard béat de contentement. Chacune de ses phrases commençait par “ma Nath” comme le refrain de son chant d’amour pour sa nouvelle ville.

Son regard s’allumait comme le mien s’était allumé, devant vous, à une époque où moi aussi, je m’émerveillais de tout et relevais chaque petit caillou que je trouvais sur mon chemin.

Sarah racontait. J’entendais sa voix mais j’étais ailleurs, une fois de plus. J’étais partout sauf dans cette ville. Cela faisait si longtemps que je l’avais désertée. Elle me parlait de “vivre ensemble”, elle me disait en insistant, c’est rare tu sais. Et puis, comme elle me sentait loin, elle fit une pause.

Sais-tu que c’est rare?

Me ramenant immédiatement à notre sujet. Et moi je pensais, c’est toi qui es rare ma Sarah, ce n’est pas cette ville, ce n’est pas ce “vivre ensemble”, non ce qui est rare, c’est ce regard aimant que tu portes sur le monde.

On doit être bien quand on est Sarah. Avoir Sarah pour maman, entendre cette voix, ce voile de douceur, ça doit donner des forces et des sourires pour toute la vie.

Devant le regard amusé de son jeune enfant, c’était moi qui réclamais à sa place mon histoire du soir. Oh s’il te plaît raconte. Raconte encore. Raconte ce que je sais mais que j’ai oublié, perdu peut être.

Alors, le sourire humble, elle respira profond, et repartit en exploration de ses ressentis. Les cueillir était facile, car elle avait sa conscience au bord du cœur, toujours.

Elle me donnait des marques de bonheur, me parlait de cette bienveillance dont elle se sentait enveloppée. Tel médecin ne lui avait pas fait payer une consultation, cette inconnue lui avait ouvert son cœur et son carnet d’adresses rien qu’au son de sa voix.

Car la voix de Sarah est un ouvre-tout. Le véritable “sésame ouvre toi”, ce n’est pas moi, c’est cette voix, qui a exactement le timbre de son âme, aussi profonde et pure qu’elle.

Ce soir là, j’ai exploré ma ville en voyageant au cœur de moi même. J’ai renoué avec celle que j’avais été, que je redeviendrai peut être ou que je ne serai plus jamais. J’ai eu besoin de me frotter au regard neuf des jeunes arrivants pour apprécier ce que je croyais acquis pour toujours. Me faisant penser à tous ceux qui m’invitaient, dès mon arrivée en Israel, pour que je leur raconte ce que j’aimais dans ce pays et qu’eux aussi ne voyaient plus.

Lorsque j’aurai faim ou que je serai menacée par l’oubli, c’est chez elle que j’irai pour qu’elle me raconte encore et toujours ce que j’ai su, un temps, mais que mon âme d’enfant veut entendre à nouveau. Car au delà d’habiter la même ville à présent, Sarah et moi avons en réalité toujours habité le même monde.

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Nathalie Ohana

J’habite en Israel, mère de 3 enfants, j’aime raconter des histoires et suivre les parcours de vie à travers mon programme www.haimrabim.com